De l’usage de la bande dessinée dans l’évaluation ex ante des projets : une approche originale de terrain. Interview de Laure Garancher, experte et actrice de bande dessinée.
Après avoir fini des études d’ingénieur agro-alimentaire, Laure Garancher a décidé d’étudier la sociologie et l’anthropologie, ce qui l’a conduit à travailler pour l’OMS. En parallèle, elle a toujours dessiné. Elle a souhaité partager les expériences vécues grâce à son travail en bande dessinée, et publié plusieurs ouvrages. Elle intègre progressivement le langage dessiné dans les activités humanitaires, sociales et environnementales. Suite à quelques expériences qui ont bien fonctionné, elle a eu envie de diffuser cette méthodologie… Et l’association Ink Link est née !
Q.: Qu’est-ce qu’Ink Link ?
LG : L’association The Ink link est un réseau d’artistes engagés et de professionnels de la bande dessinée et du développement. L’équipe centrale vient de différents milieux : scénaristes, dessinatrices de bande dessinée, professionnelles du monde des ONG ou de la BD. Chaque projet implique des artistes et des accompagnateurs : – Les Inkers sont les artistes du réseau, scénaristes, dessinateurs/trices. Ce sont des auteurs professionnels qui ont déjà été publiés. – Les Linkers assurent le suivi de projets et apportent leurs savoir-faire. Chaque membre de l’association apporte son style, ses compétences, ses affinités et ses convictions. Ink Link travaille dans des pays en développement, à l’aide de financements internationaux, mais aussi en France et en Europe.
Q.: Peux-tu présenter ta méthode de travail ? A quel besoin répond-t-elle ?
LG : J’utilise la bande dessinée lors de phases d’évaluation ex ante de projets. Dans cette phase, les experts ne travaillent le plus souvent qu’avec les politiques (gouvernement, autorités locales) et ne rencontrent que rarement, ou insuffisamment, les bénéficiaires finaux.
De ce fait les projets sont souvent conçus sans suffisamment prendre en compte la complexité du contexte local. Le dessin (avec des supports déjà réalisés et des productions créées sur place) me sert à dialoguer avec les bénéficiaires potentiels, à présenter une situation de référence, et à proposer des évolutions possibles, de façon très concrète. Il permet de mieux communiquer avec eux et souvent de modifier ou d’adapter la problématique du projet.
Q.: Peux-tu donner un exemple de la complexité du contexte local?
LG : J’ai participé à la mise en place d’un projet visant à améliorer le traitement antipaludique des orpailleurs clandestins en Guyane. L’objectif était de répondre au risque d’émergence d’une résistance aux traitements, lié à leur mauvaise utilisation, dans un contexte où l’accès aux soins est très complexe. La réglementation européenne impose que les traitements antipaludiques soient donnés par un médecin, alors que dans d’autres zones géographiques (comme le Surinam et le Brésil), des agents de santé peuvent les distribuer. Par contre l’automédication est légale. On a donc proposé un programme où les orpailleurs recevraient des kits d’auto-test et d’auto-diagnostic sur des sites de repli après une courte formation.